LE TÉLÉPHONE

 

Premier combiné téléphonique (esquisse de 1877)

COMMUNICATION D'ALFRED NIAUDET À LA SÉANCE DU 7 DÉCEMBRE 1877

 

L'année dernière, à l'Exposition de Philadelphie, on présenta plusieurs appareils nouveaux se rattachant à la télégraphie.

 

Parmi ces appareils, le plus extraordinaire était le téléphone imaginé par M. Bell, transmettant la voix humaine.

 

Des expériences furent faites dans lesquelles plusieurs personnes entendirent des mots prononcés par d'autres personnes dans une ville voisine.

Parmi les auditeurs de ces sons venus de si loin, de ces paroles voyageuses, se trouvait l'un des hommes les plus illustres de la science européenne, Sir William Thomson, qui se trouvait à Philadelphie comme membre du Jury international.

 

 

Sir William Thomson, quelque temps après, en septembre 1876, rendait compte de ces expériences à l'Association britannique réunie à Glasgow, et précisait même les mots qu'il avait ainsi entendus.

Cette nouvelle se répandit promptement en Europe, et on se rappelle encore que l'illustre physicien avait dit que cet instrument était la merveille des merveilles de la télégraphie.

Il était difficile de douter, et cependant quelques personnes doutèrent encore ; et parmi celles qui ne doutèrent plus, beaucoup pensèrent que le téléphone était et resterait un objet de pure curiosité, un instrument de science, un objet bon à meubler les armoires des cabinets de physique.

Tout au plus pouvait-on admettre que cet appareil télégraphique, avant d'arriver à l'état pratique, aurait à passer par de nombreux et lents progrès.

Cette année, à la réunion tenue au mois d'août à Plymouth par l'Association britannique, on apprit que ces progrès nombreux avaient été réalisés et que loin d'avoir été lents, ils avaient été d'une rapidité tout à fait extraordinaire.

L'instrument très-imparfait de 1876, était devenu, en 1877, presque parfait; sa simplicité était devenue telle qu'il ne parait pas possible de la dépasser.

En 1876, les deux instruments, transmetteur et récepteur, étaient dissemblables, et dans les expériences faites à Philadelphie, on n'avait pu que parler d'un côté et entendre de l'autre.

En 1877 les deux appareils étaient devenus identiques, et par conséquent on pouvait parler et entendre avec tous deux.

Une circonstance fortuite m'a conduit à Londres le mois dernier. Je fus mis en rapport avec l'inventeur. Je lui proposai de faire connaître son invention en France. Il me confia les deux premiers téléphones qui aient touché le continent européen, et que voici.

Je ne vous parlerai pas en détail de toutes les formes par lesquelles a passé l'invention de M. Graham Bell ; d'autant que je ne les connais pas toutes et que l'intérêt de cette chaîne d'idées serait beaucoup diminué par une certaine discontinuité. Je me hâterai donc de vous donner la description de l'appareil.

 

DESCRIPTION DE L'INSTRUMENT

La figure ci-contre vous montre ses différentes parties.

Une membrane de fer fort mince est placée devant l'entonnoir ou embouchure de l’appareil ;

Derrière cette membrane une tige d'acier aimantée, placée perpendiculairement à la membrane ;

Sur cette tige d'acier une toute petite bobine de fil de cuivre, toute courte et toute voisine de la membrane.

Voilà tout le téléphone, qui est enfermé dans une boite de bois, dont la forme extérieure reproduit le profil de l'appareil intérieur.

 

FONCTION DE L'INSTRUMENT

Examinons maintenant comment il fonctionne, et disons d'abord que les téléphones transmetteur et récepteur sont reliés l'un à l'autre par deux fils ou par un fil et la terre, de telle sorte qu'il y ait un circuit complet dans le sens télégraphique du mot.

Partons du transmetteur ; on le présente à sa bouche, on parle dans l'entonnoir, dans l'embouchure, comme on parlerait dans un vulgaire porte-voix; la membrane de fer vibre à l'unisson de tous les sons que produit successivement et même simultanément la voix; de ces vibrations il résulte des approchements et éloignements de la membrane de fer par rapport au pôle de l'aimant et par suite des courants d'induction dans le fil de la petite bobine.

Vous vous souvenez, en effet, que tout mouvement réciproque entre un aimant entouré d'un fil conducteur et un morceau de fer entraine la production de courants électriques, dits courants d'induction dans le fil.

Quand le fer s'approche de l'aimant, le courant d'induction est d'un sens que j'appellerai direct ; quand le fer et l'aimant s'éloignent, le courant est de sens inverse.

L'intensité de ces courants dépend de l'étendue du mouvement réciproque, et par conséquent, dans le téléphone, de l'amplitude des vibrations, elle dépend aussi de la durée du mouvement.

Par conséquent la production des courants dans le petit appareil que je vous présente, est calquée sur les mouvements vibratoires de la membrane, et si on faisait sur le tableau deux courbes ou diagrammes pour représenter l'un et l'autre phénomène, ces deux courbes seraient identiques.

Et cette courbe, vous le remarquerez, sera symétrique par rapport à l'axe des abscisses (ce sera une sinusoïde avec quelques altérations et complications). Cette symétrie explique comment un galvanomètre même fort délicat est impuissant à accuser l'existence des courants du téléphone ; les courants positifs et négatifs se succédant avec une extrême rapidité, leur action sur l'aiguille du galvanomètre est compensée, balancée et finalement inappréciable au galvanomètre.

Il me reste à expliquer le fonctionnement de l'appareil récepteur, qui est, comme je l'ai déjà dit, identique au transmetteur.

La série d'actions, de phénomènes que nous avons analysés dans le premier appareil se reproduit ici dans un ordre inverse ; tout ce qui était cause devient effet; tous les effets deviennent causes. Les courants arrivent dans le fil de la bobine, augmentent ou diminuent le magnétisme du barreau ; il en résulte des attractions de la membrane et des diminutions d'attractions, et enfin des mouvements de va-et-vient de cette membrane, des mouvements vibratoires.

Ces mouvements vibratoires sont absolument correspondants, pour le nombre, pour l'amplitude, pour la nature à ceux de la première membrane, et si on présente ce second instrument à son oreille on entend toute la succession des sons qui ont impressionné la première.

Je vous ai dit que les mouvements vibratoires de la seconde membrane étaient correspondants à ceux de la première ; je n'ai pas dit qu'ils fussent identiques, égaux. Il est bien entendu, en effet, que le mouvement perpétuel n'est pas réalisé ici, et que dans le système en question nous avons, comme dans toutes les machines, une perte résultant de la transmission et des transformations de la force.

Ceci explique comment les sons perçus par l'oreille sont notablement affaiblis.

 

APPAREILS EN DÉRIVATION OU EN CIRCUIT

Jusqu'ici nous avons considéré deux appareils seulement, un à chaque station ; mais il est possible de mettre à chaque endroit deux téléphones. Ces deux téléphones sont placés en dérivation ; le courant qui arrive de l'autre extrémité de la ligne se dérive, se partage entre les deux.

On peut disposer les choses encore d'une autre manière ; on peut mettre plusieurs téléphones dans un même circuit ; c'est-à-dire que le courant passe successivement dans les différents appareils ; il n'est pas douteux qu'on ne puisse en mettre un assez grand nombre en circuit ; mais je suis porté à croire que le nombre serait limité.

Quoi qu'il en soit du nombre maximum possible, je puis dire que j'ai fait l'expérience avec trois appareils ; l'un étant dans la cave, l'autre au rez-de-chaussée, le dernier au premier étage. Chacun des trois interlocuteurs entendait ce que disaient les deux autres, et la conversation a été possible, bien que réduite à des échanges de communications fort simples.

 

PUISSANCE DE SON DE L'INSTRUMENT

Les personnes qui essaient pour la première fois le téléphone éprouvent un mécompte ; elles entendent mal. Il faut se tenir en garde contre cette première impression. Il faut comprendre qu'il est difficile d'entendre, si l'on se trouve placé dans un endroit où il y a un grand bruit. Ainsi à la fin de la séance, ceux d'entre vous qui mettront l'oreille au téléphone seront singulièrement gênés par la présence dans la salle d'un grand nombre de personnes qui parleront entre elles et produiront un bruit général et ambiant, duquel il sera difficile de s'isoler.

Pour rendre l'audition plus nette, il y a un très-grand avantage à employer deux téléphones en dérivation ; on les place un à chaque oreille en ayant soin de les bien appliquer contre le pavillon de l'oreille afin d'arrêter autant que possible les sons étrangers et de les empêcher de venir frapper le tympan.

D'ailleurs, quand on engage une correspondance, il y a grand avantage à maintenir constamment un instrument à l'oreille pour ne rien perdre des interruptions ou des paroles coupées de son interlocuteur ; cela est beaucoup facilité par l'emploi de deux appareils dont un seul est transporté de la bouche à l'oreille.

Les expériences qui se feront ici, donneront lieu aux mêmes remarques que toutes celles qui se font par des personnes non habituées; chacun voudra entendre et personne ne se donnera la peine de parler; il faudra que chacun y incite une grande complaisance, se dévoue pour parler au correspondant qui désirera entendre, et surtout qu'on ne perde pas de vue cette règle absolue : que le téléphone doit être toujours à l'oreille pour entendre ou à la bouche pour parler; ne quittant l'une que pour retourner à l'autre.

 

TRANSMISSION DU TIMBRE

Une des propriétés les plus merveilleuses et les plus inattendues du téléphone est celle de transmettre le timbre des sons, à ce point qu'il est possible de distinguer la voix d'une personne de celle d'une autre.

Si vous avez occasion de correspondre avec une femme, vous verrez à quel point il est impossible de se méprendre sur le sexe de l’interlocuteur ; et si vous connaissez la voix de cette femme, vous la reconnaîtrez comme si elle vous parlait de la pièce voisine.

Sir William Thomson disait récemment à. Glasgow, dans un meeting qu'il présidait, qu'il est possible avec le téléphone de Bell d'entendre à une distance de 50 milles, et non-seulement entendre quels mots sont prononcés, mais de savoir qui les a prononcés parmi les 900 millions de créatures humaines qui peuplent la terre.

Un son simple ne peut avoir que deux qualités : la hauteur et l'intensité.

Le son peut être grave ou aigu et cela entre des limites très-étendues qui correspondent de 32 vibrations à 16,000 vibrations environ par seconde ; voilà la hauteur du son.

Un son d'une hauteur donnée peut être faible ou fort : voilà l'intensité.

Mais il n'y a pas dans la nature de son absolument simple ; si une corde vibre, si un tuyau raisonne, si une voix humaine chante ou parle, elle rendra un son que vous reconnaîtrez aussitôt, et que vous appellerez par son noms si vous avez l'oreille exercée ; vous direz : voilà le la normal, ou voilà son octave, ou voilà l'ut, ou tel autre.

Vous avez en effet l'impression d'un son fondamental, et c'est de celui-là que vous indiquez le nom; mais ce son principal est accompagné de plusieurs autres.

Chaque fois qu'un instrument se fait entendre, ce n'est pas un son comme le croit le vulgaire que vous percevez, c'est un concert.

La composition de cet accompagnement du son principal est différente pour le violon, pour le haut-bois, pour la voix humaine qui chante a et pour celle qui chante o ou quelqu'autre voyelle.

Cette variété est ce qu'on appelle le timbre. N'est-il pas bien extraordinaire qu'une membrane, et notamment une membrane de fer, vibre à l'unisson à la fois de plusieurs sons coexistants, en laissant à chacun son intensité relative et son importance dans le concert dont j'ai parlé.

Cela est si étonnant qu'on serait fondé à n'y pas croire si on n'en avait la preuve irrécusable dans l'expérience du téléphone. Car c'est là une particularité singulièrement frappante de l'invention de M. Bell qu'elle tranche certaines questions d'acoustique qui n'étaient pas fort claires.

 

PORTÉE DE L'INSTRUMENT

Les expériences qui se feront ici se feront à courte distance, d'un étage à l'autre.

J'ai eu occasion d'assister à la première expérience faite en France, à une distance un peu notable ; nous étions à Paris, notre interlocuteur à Saint-Germain. Après quelques moments d'hésitation et de manque d'entente, comme il arrive si souvent entre les bureaux télégraphiques, j'avais l'appareil à l'oreille et tout d'un coup j'entendis la voix de notre correspondant, comptant, suivant nos conventions : un, deux, trois ; ce fut un moment de véritable émotion.

Malgré le temps qui était détestable et qui devait nuire à l'isolement de la ligne, on parvint à échanger quelques mots ; on nous chanta de Saint-Germain le Clair de la Lune, et moi je criai une série de bravos qui furent reçus avec joie.

L'expérience a été faite quelques jours plus tard entre Paris et Mantes, 58 kilomètres.

Il parait qu'en Allemagne on a fait des expériences à des distances à peu près du même ordre. On m'écrit de Cologne qu'un service régulier est établi à Berlin entre le bureau central des Postes et le palais de la Direction des Postes, qui sont à deux kilomètres l'un de l'autre. Mais il n'est pas vrai qu'un service soit établi entre Varzin et Berlin, comme les journaux l'ont dit ; cette assertion a été démentie.

En Angleterre, où on nous a devancé comme vous savez, on a fait bien des expériences à distance ; la plus intéressante a consisté à parler de la côte d'Angleterre à Jersey, par le câble sous-marin. Cette expérience est capitale, non pas tant à cause de la distance, qu'à cause des conditions particulières aux câbles sous-marins; on était fondé à croire que le téléphone ne pourrait pas fonctionner sur les lignes sous-marines ou souterraines; et malgré le premier démenti donné par le câble de Jersey, je serais tenté de dire qu'on n'ira pas beaucoup plus loin dans ces conditions particulières.

M. Bell m'a affirmé l'autre jour qu'il avait eu occasion de faire une expérience en Amérique à travers une ligne de 258 milles, soit 415 kilomètres, de Boston à New-York.

Les personnes qui ont l'habitude de dire qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil, feront bien, je crois, de réserver ce dicton pour une autre occasion.

 

VITESSE DU SON. VITESSE DE L'ÉLECTRICITÉ

Vous remarquerez que l'un des traits du téléphone est qu'il augmente prodigieusement la vitesse du son.

Dans l'air, les vibrations sonores se traînent misérablement à une vitesse de 333 mètres par seconde ; dans le fil de fer qui sert à la construction des lignes télégraphiques aériennes, elle arriverait à 5127 mètres ou environ.

La vitesse de propagation de l'électricité, ou du moins ce qu'on appelle ainsi, est bien plus grande ; vous savez qu'elle n'est pas fixe et invariable, mais, au contraire, variable avec la matière qui lui sert de véhicule et avec plusieurs autres circonstances. Quoi qu'il en soit, il est difficile de l'évaluer à moins de 40 mille kilomètres par seconde dans les lignes aériennes, et dès lors vous voyez que si je disais que M. Bell a donné des ailes à la parole humaine, j'emploierais une figure fort insuffisante à donner idée du gain de vitesse obtenue.

 

ACTIONS INDUCTRICES DES FILS VOISINS

Dans les expériences auxquelles j'ai assisté entre Paris et Saint-Germain, il s'est produit un phénomène auquel on ne peut guère se soustraire, et que vous me reprocheriez de ne vous avoir pas signalé.

Le téléphone est mis en mouvement par des courants d'une faiblesse extrême, dès lors vous concevez que des courants très-faibles peuvent le troubler. Si des fils sont placés à quelque distance de celui qui sert au téléphone, leur action inductrice s'exercera. Chaque fois qu'ils seront interrompus et rétablis, il se produira des courants induits dans le fil du téléphone, et on entendra des claquements de la membrane vibrante, ou plutôt des deux membranes vibrantes, car les deux appareils sont affectés naturellement de la même façon.

Ce sont là les sons anormaux que nous avons entendus lors de l'expérience de Saint-Germain, et qu'on entendra toutes les fois qu'on opérera sur des lignes à plusieurs fils et surtout aux heures du service le plus actif.

Il est fort remarquable qu'on distingue très-bien la nature des appareils qui fonctionnent sur les fils voisins ; nous reconnaissions, sans qu'il fût possible de s'y méprendre, la transmission de l'appareil à cadran : c'était un bruit de moulin à café coupé et intermittent.

La transmission du Morse se distinguait également, et je suis persuadé que si une seule correspondance Morse s'échangeait dans le voisinage, il serait possible d'écouter cette correspondance et de commettre ainsi des indiscrétions qui en temps de guerre, par exemple, pourraient avoir une incalculable importance.

Quand, au contraire, et c'est le cas général en temps de paix, on se trouve dans le voisinage de plusieurs fils travaillant le Morse, on n'entend qu'une série confuse de bruits sans signification qui ont été fort justement comparés par mon ami, M. Preece, électricien de l'administration anglaise des télégraphes de l'État, au bruit de la grêle frappant les carreaux.

Dans des expériences poursuivies à l'administration des télégraphes français (rue de Grenelle-Saint-Germain), sous la direction d'un homme savant et ingénieux que beaucoup d'entre vous connaissent, de M. Bontemps, on a observé les mêmes bruits causés par les courants du voisinage; on distinguait les envois de courants des pendules électriques qui donnent l'heure dans les bureaux et dont les fils côtoyaient sur une certaine longueur celui du téléphone; les personnes habituées reconnaissaient très-bien la transmission de l'appareil de Hughes, et on m'a même affirmé que les employés qui entendent habituellement ces appareils et qui arrivent à lire au son certains mots du moins, pouvaient, dans le téléphone, reconnaître la cadence de ces mêmes mots reçus ou transmis par un appareil Hughes.

Ce qui est fort important au point de vue de la pratique, c'est que ces bruits n'empêchent pas d'entendre les paroles prononcées par le correspondant. Je n'oserais pas affirmer qu'ils ne gêneront jamais la correspondance, mais je puis dire qu'ils ne l'ont pas empêchée dans plusieurs cas venus à ma connaissance. Et vous rencontrerez la même affirmation dans une communication récente de M. Pollard, ingénieur de la marine à Cherbourg, communication adressée à l'Académie des sciences.

 

APPLICATIONS

Je ne parlerai que très-brièvement des applications du téléphone, qui est un porte-voix à portée fort longue. Il remplace les porte-voix dans beaucoup d'établissements où les distances sont très-grandes et où on entend mal avec les tuyaux acoustiques ordinaires.

Les ingénieurs des mines paraissent unanimes à penser que le téléphone rendra de grands services pour communiquer avec le fond des puits et des galeries. Des essais ont été faits dans des houillères anglaises et ils ont eu un plein succès.

M. Bell m'a parlé d'une lampe d'invention nouvelle qui trahit la présence du grisou, en chantant d'une manière particulière, comme fait la lampe philosophique qu'on montre dans les cours de chimie. Sir William Thomson et lui ont fait l'essai et constaté qu'avec le téléphone on entendrait ce chant de la lampe à grande distance, de sorte que l'ingénieur en chef pourrait de son bureau surveiller de temps à autre la composition de l'air de la mine.

Le téléphone se prêtera merveilleusement aux communications avec un ballon captif et ce sera une de ses applications à l'art militaire ; déjà nos officiers s'en sont préoccupés.

Le téléphone pourrait servir à bord des navires ? quelques personnes le croient : je n'ai pas d'opinion à ce sujet et pas encore d'expérience sérieuse à vous rapporter. J'espère qu'il en sera fait bientôt à bord des navires de l'escadre de la Méditerranée.

Ce que je pourrais dire de plus, chacun de vous l'imaginera sans peine, et je ne voudrais pas vous retenir pour vous faire des comparaisons faciles entre les télégraphes et les téléphones.

En dehors des applications à la correspondance, il y en aura certainement d'autres, et je vous demande la permission de vous en signaler une, et de prendre date, devant vous, pour une idée que je n'ai pas encore eu le temps de mettre à l'essai.

Je voudrais employer le téléphone à accuser l'existence de courants extrêmement faibles. Supposez, en effet, une source très-faible d'électricité, une source douteuse et que vous vouliez reconnaître ; faites passer ce courant dans un fil fort long enroulé sur une bobine, enroulé parallèlement à un autre fil aboutissant à un téléphone. Si le courant de la source interrogée existe, et qu'on l'interrompe un grand nombre de fois au moyen d'un commutateur quelconque, il induira des courants dans le fil du téléphone qui rendra des sons ou de simples bruits.

Remarquez que cette méthode est susceptible de multiplication, car vous pourrez augmenter à volonté le nombre des circonvolutions du fil qui réagissent toutes les unes sur les autres. On augmenterait encore la sensibilité du système en mettant des fils de fer dans l'âme de la bobine, comme on le fait dans les appareils d'induction de Ruhmkorff.

 

ANTERIORITE

Vous savez, Messieurs, que quand un inventeur annonce sa découverte, on commence par lui dire que le fait est faux, et ensuite qu'il n'est pas nouveau.

C'est la règle générale, elle a été appliquée au téléphone. Tant que le téléphone est resté en Amérique, toute l'Europe doutait, et bien des gens sérieux avouent de bonne grâce aujourd'hui qu'ils se refusaient absolument à croire à ce qui se répétait. On disait : A beau mentir qui vient de loin.

Le téléphone est venu en Angleterre, cela n'a pas encore suffi. Mais un beau jour il a franchi le Pas-de-Calais ; il est arrivé à Paris, et alors cet instrument est devenu, du jour presque au lendemain, la préoccupation de toute l'Europe.

Il n'est plus question de nier sa capacité ; mais nous sommes aujourd’hui dans la seconde période, celle pendant laquelle on recherche les antériorités et pendant laquelle on entreprend de démontrer à l'inventeur que son invention n'est pas nouvelle et pas de lui.

Il est certain que des inventions aussi extraordinaires ne se font pas en un seul jour, et qu'elles ne sont pas comme Minerve, qui sortit tout armée du cerveau de Jupiter.

M. Bell a passé par bien des appareils compliqués avant d'arriver à cet appareil d'une simplicité absolue que je vous présente.

Avant lui des hommes ingénieux avaient cherché à transmettre des sons ; et le premier en date est un M. Philip Reis de Francfort, qui publia son travail en 1861 dans les Jahres Berichte des Franckfurter Vereins der Naturwissensehaften pour 1860-1861.

Cet appareil, dont j'ai montré un exemplaire fort ancien à la Société de physique, fait le plus grand honneur à son inventeur ; vous en trouverez la description dans le Journal de Physique qui va paraître ; dans le journal la Nature, avec la signature de M. Bontemps ; dans le Magasin pittoresque, dans un fascicule qui parera bientôt.

Mais l'appareil de M. Reis ne transmettait ni l'intensité du son, ni le timbre; il ne transmettait que la hauteur du son, et encore ne faisait-il cette besogne que d'une manière assez imparfaite.

Après M. Reis sont venus d'autres inventeurs de téléphone ; mais, à mon avis, ni les inventions de M. Elisha Gray (de Chicago) et de M. Lacour (de Copenhague), ni les autres qui sont venues à ma connaissance ne présentent un grand intérêt.

Sir Willliam Thomson a exprimé son avis à Glasgow, en disant que les téléphones qui ont précédé celui de Bell en différent autant que les battements de la main diffèrent des sons de la voix humaine.

Je ne sais pas de plus importante autorité à invoquer.

 

PROGRÈS POSSIBLES

Si je vous disais que M. Bell a fait une chose tellement parfaite qu'il n'est pas possible de l'améliorer, vous ne me croiriez pas. Mais je me garderai bien de dire et de croire moi-même pareille chose.

On a parlé de téléphones qui emploieraient une pile et qui, moyennant cette complication nouvelle donneraient des sons plus intenses que celui de M. Bell. Ce serait là un progrès important ; malheureusement les expériences qui ont été faites à Londres n'ont pas encore réussi. Espérons qu'on réussira bientôt.

On a parlé d'appareils qui enregistreraient la voix et qui partant de cet enregistrement la reproduiraient ensuite, soit tout de suite, soit dans dix ans ou dans cinquante ans. Si invraisemblable que puisse paraître une pareille allégation, je n'hésite pas à dire que je crois que nous verrons cette merveille, que nous la verrons bientôt.

Vous trouverez mon affirmation moins osée, quand vous saurez que M. Marcel Deprez l'un de nos plus ingénieux et savants confrères s'occupe de cette question depuis longtemps déjà, avec M. Napoli. Ces Messieurs ont réalisé un appareil reproducteur de la voix humaine.

Au centre d'une membrane ébranlée par la voix est placé un petit style fort léger qui écrit sur du noir de fumée. La courbe qu'il trace, pour qui saurait la lire, serait une écriture sténographique d'une fidélité absolue. Cette courbe sert à la production d'une lame métallique dentelée dont les dentelures reproduisent la courbe. Cet organe mécanique une fois réalisé on comprend comment il peut servir par sa translation à commander un levier d'une extrême légèreté, qui par son autre extrémité agit sur une membrane.

Cette seconde membrane reproduit par conséquent toutes les vibrations de la première, amplifiées ou diminuées à volonté. Elle fait entendre les sons qu'a entendus précédemment la première membrane.

De là au téléphone, la distance n'est pas fort grande, et je n'y insiste pas.

 

Je dirai un mot du téléphone multiple de M. Trouvé, dont l’Académie des sciences a été saisie dernièrement. Il est formé de quatre membranes, formant les quatre côtés latéraux d’une boîte cubique ; ces quatre membranes vibrent simultanément et concourent à produire des courants d’induction, dont l'effet peut être concentré sur une seule des membranes du récepteur.

L'idée est ingénieuse, comme toutes celles de ce fécond inventeur.

Quoi qu’il en soit des surprises que nous réserve l’avenir et le génie persévérant des inventeurs, veuillez reconnaître avec moi, Messieurs, que si M. Bell cessait de travailler à partir d’aujourd’hui, il pourrait encore dire :

J'ai fait ma tâche, que mes successeurs fassent la leur.

 

M. le Président remercie M. Niaudet de son intéressante communication.

 
Dernière modification : 25/05/2023

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